11 février 2014

Liberté ou libéralisme?

Manifestations, répression, arrestations. Avec quelques variantes selon les pays et les continents, c’est le quotidien de la planète où les sujets de protestation ne manquent pas.

Je salue au passage les manifestants de Kiev, de Bangkok ou de Rio que je n’oublie pas, comme les Bosniaques qui ont rejoint le mouvement la semaine dernière.

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Les images d’aujourd’hui nous viennent de Turquie où plusieurs manifestations se sont déroulées en fin de semaine dernière après l’adoption par le Parlement d’une série de mesures visant à renforcer le contrôle d’Internet, notamment en bloquant des sites contenant des informations portant “atteinte à la vie privée” ou jugées “discriminatoires ou insultantes”. Une loi “liberticide”, dénoncent les opposants au Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, lequel leur a répondu qu’il n’y aurait “absolument aucune censure imposée sur l’Internet avec ces dispositions” qui rendraient au contraire l’Internet “plus sûr et plus libre”.

Loin de moi l’idée de délivrer à M. Erdogan un certificat de grand démocrate et de défendre ses intentions, mais je reste convaincu que c’est le rôle d’une société démocratique de condamner la discrimination ou l’atteinte à la vie privée. Et en ce qui concerne la vie privée, j’ai comme une gêne de lire ici ou (et sur plus de 160 pages) la réaction de “Gamze, étudiante et manifestante” qui affirme que “le fait que le gouvernement mette son nez dans les dossiers des internautes, c’est comme s’il mettait son nez dans notre vie privée”, en même temps que je vois sur les pancartes brandies dans les manifestations les logos de tel ou tel réseau social !

En matière de respect de la vie privée, j’ai comme l’impression que les géants d’Internet ne sont pas moins menaçants que nos gouvernements, et qu’ils ne se gênent pas pour “mettre leur nez dans notre vie privée”. D’où vient dès lors la confiance que nous accordons aveuglément (qui d’entre nous a lu les conditions d’utilisation de Google, Facebook, Apple, Twitter ou Microsoft ?) à des entreprises privées alors que nous la refusons à des gouvernements élus (plus ou moins) démocratiquement ?

Je suis loin d’être un naïf. Et le feuilleton de l’agence de sécurité américaine, la NSA (contre Edward Snowden) aux Etats-Unis ou l’article 13 de la dernière loi de programmation militaire en France me révoltent quant à la liberté surveillée des citoyens. Mais si nous sommes “à deux doigts de la dictature numérique”, comme l’écrit ici un conseiller de la commissaire européenne chargée de la société numérique, les deux doigts me semblent passablement déjà bien enfoncés (excusez l’image…) par des personnes aux objectifs plus financiers que philanthropiques.

Comme les internautes français le savent sans doute déjà, Google vient d’être condamné par la CNIL pour atteinte à leur vie privée. Une amende de 150 000 €, dérisoire comparée aux 15 milliards de dollars de chiffres d’affaires, aux 3 milliards d’euros de bénéfices (et au redressement fiscal de 1 milliard d’euros)…

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La même proportion risible que celle des comptes de leurs utilisateurs que les “géants” du Net avouent avoir livrés aux services de renseignements étasuniens : environ 20 000 pour Google, 12 000 pour Facebook, 30000 pour Yahoo, moins de 250 pour Apple. Sur l’air de “on collabore, mais si peut !” Et c’est si peu cher payé pour la tranquillité du business… Mais qui est en mesure de démentir ces chiffres ?

Bref.

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C’est aujourd’hui jour de mobilisation de l’Internet contre la surveillance de masse. Je vous mets le lien vers le site “officiel” de cette action pour ne pas être accusé à mon tour de censure. Mais vous ne m’en voudrez pas de ne pas participer. D’abord, parce que j’aurais bien aimé un effort de traduction pour une opération se voulant internationale. Et surtout parce que je n’ai aucune envie de faire du bruit sur des réseaux qui n’ont de sociaux que le nom.

Et, même si j’ai une confiance toute relative dans certains partenaires du Safe Internet Day (Internet sans crainte) qui se déroule le même jour, j’adhère davantage au projet de “donner aux jeunes la maîtrise de leur vie numérique”. Un objectif qui implique de ne pas se tromper de combat. Ni d’ennemi !

Et de ne pas confondre liberté et libéralisme…

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(photos : Murad Sezer, Adem Altan, Umit Bektas, Emrah Gurel, Bulent Kilic, Ozan Kose, DR)

Internet aujourd’hui encore, c’est comme l’apprivoisement du renard du Petit Prince : ça signifie créer des liens.

Parfois étonnants.

C’est via le site de mon fournisseur turc de musique du monde que j’ai découvert le groupe strasbourgeois des Violons Barbares.

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Commentaires

DEBELLAHI
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Nous sommes otages du numérique, et prisonniers de nos gouvernants (mal) élus démocratiquement. Entre otage et prisonnier, quelle est la meilleure situation ? Je préfère avoir deux doigts "enfoncés" dans ma vie privée, que d'être privé totalement de vie. Entre la dictature du libéralisme, et les contraintes du numérique, il n'y a plus la liberté de choix: il faut subir.