Parce que c’était lui
Lorsque l’avion a décollé de Lyon, j’ai enfin réalisé que je m’envolais pour Abidjan. Et j’ai eu une pensée particulière pour celui sans lequel je n’aurais pas été là.
Avant abcdetc sur Mondoblog, il y a eu abcdetc dans son propre domaine. Et auparavant, il y avait eu quelques avatars, abcdetc sur wordpress ou i comme image, depuis le premier billet de 2007 avec lequel je me lançai dans une aventure, dont j’ignorais où elle m’emmènerait et dont je n’imaginais pas un instant qu’elle me conduirait en Afrique.
Au début, nous ne nous connaissions pas. Puis je l’ai connu par l’intermédiaire de sa petite sœur. Un homme discret, un peu taciturne, timide sans doute, sensible. Surdoué lui aussi. Mais de ceux qui ont réussi à en faire une qualité pour apprendre ce que d’autres ne comprennent même pas. Quand je l’ai vu la première fois, il travaillait sur des calculs de probabilité de collision de sous-marins en plongée, pour éviter que tous ces submersibles furtifs n’entrent en collision à tout bout de champ. Ses équations à plusieurs étages m’impressionnèrent. Je ne savais pas que je pouvais impressionner réciproquement un tel personnage.
Dès qu’il a eu connaissance du blog, il en est devenu l’un des commentateurs les plus fidèles. Que dis-je ? Le commentateur irremplaçable, complétant chaque jour (ou presque) mes élucubrations par des pertinences ou impertinences brillantes. Et si j’ai fini par me séparer de sa sœur, nous sommes devenus, lui et moi, inséparables. D’une certaine manière.
Il m’a suivi de blog en blog, jusque chez Mondoblog où il a soutenu mes premiers pas et milité par exemple pour le maintien de la rubrique Musiques du monde.
Près de 7 années de compagnonnage. Et je crois qu’il a écrit plus de commentaires que moi de billets.
A chaque fois que le doute m’a visité, que j’ai eu la tentation d’abandonner une tâche souvent ardue, parfois ingrate, et que je jugeais régulièrement inutile vu le peu de lecteurs qui me visitaient, il m’encouragea à poursuivre. Trouvant toujours un compliment à me faire, une reconnaissance à me donner.
Et surtout.
J’avais fait sa connaissance peu après qu’il ne tombe malade. Une forme de leucémie qui faillit l’anéantir et pour laquelle le seul traitement possible était une greffe de moelle. Le genre d’opération lourde, avec autant d’effets secondaires que peut en contenir un dictionnaire médical. Et je ne sais pas s’il les a cochés un à un sur les 10 feuilles de décharge qu’il signa avant la greffe, mais j’ai l’impression qu’il les a tous eus. Un à un, ou par vagues. Surmontant chaque nouvelle attaque de la maladie et de ses conséquences avec une force de caractère impressionnante.
J’ai souvent pensé que si j’avais été à sa place, j’aurais laissé tomber, je me serais laissé aller. J’aurais laissé la maladie m’envahir. Mais on ne peut jamais se mettre vraiment à la place des autres. Ni anticiper sur ce que nous ferions dans des situations auxquelles nous n’avons pas été confrontés.
Il demeurait fidèle, mais ses visites parfois s’espaçaient. Certains jours, les tremblements de son corps l’empêchaient de se connecter sur son ordinateur sur le clavier duquel il ne pouvait pas entrer son code. D’autres fois, ces yeux étaient tellement douloureux, qu’il s’enfermait dans le noir, avec sa souffrance et son envie de se les arracher pour s’en libérer.
Mais il finissait toujours par revenir, prenant même parfois la peine de rattraper son retard dans les commentaires. Je crois que j’ai oublié de dire qu’au fil des ans, de nos 7 années de blouguage commun, il a écrit davantage de commentaires que je n’ai écrit de billets.
Et puis, un jour d’une nouvelle vague de doute, d’envie de renoncement, de manque d’énergie – de ma part, pas de la sienne -, où j’évoquais une nouvelle fois la fin d’abcdetc, il m’a écrit.
« La première chose que je fais, quand j’arrive à maîtriser les tremblements assez pour me connecter, à ouvrir l’œil assez pour regarder l’écran, c’est de lire abcdetc. »
Lorsque je travaillais dans l’édition, jadis, j’ai rencontré Bernard Delvaille, un véritable poète, responsable des éditions Seghers, éditeur d’autres poètes. Un jour que je lui demandais s’il n’était pas trop frustré de publier des livres lus par si peu de gens, il me répondit : « Mon métier d’éditeur, c’est de faire se rencontrer un auteur et le lecteur pour lequel il écrit. »
Il a longtemps été mon unique lecteur. Et même si j’accueille toujours avec plaisir de nouveaux lecteurs, il reste ce lecteur unique.
Celui sans lequel…
Alors merci Richard pour ce voyage à Abidjan. Et je vais maintenant aller boire cette bière que je t’ai promise. A ta santé !
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