La mémoire qui flanche

Article : La mémoire qui flanche
Crédit:
7 avril 2014

La mémoire qui flanche

La mémoire est fragile, comme pourrait le dire ma mère si elle se souvenait qu’elle est frappée de maladie d’Alzheimer.

Le 20e anniversaire du génocide au Rwanda donne l’occasion de nous souvenir que cette fragilité touche aussi bien les sociétés que les individus qui les composent.

hommes-debout-01

Ainsi, “la France regrette de ne pouvoir prendre part aux commémorations du 20e anniversaire du génocide”, comme l’a déclaré samedi le porte-parole du Quai d’Orsay, en réponse aux accusations réitérées du président rwandais, Paul Kagamé, sur son implication, sa responsabilité, sa complicité, sa “participation” au génocide.

Question de vocabulaire, entre les graves erreurs reconnues et la culpabilité déniée ? Question de rapport à la vérité et à l’horreur ? Mais pourquoi avoir autorisé la tenue, dans un lieu symbole de la République, d’un colloque jugé comme négationniste par une association de la diaspora rwandaise ? Question d’honneur et de sa défense, comme l’y appelle samedi 5 avril sur son blog le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé ? Lequel a quelques soucis avec son honneur et sa propre responsabilité, sur laquelle l’a interpellé dans une lettre ouverte un collectif de citoyens bordelais et de personnalités qui demandent une clarification sur son rôle et celui de l’État en 1994.

hommes-debout-02

Je ne peux que poser des questions auxquelles je n’ai pas de réponses. Comme je n’arrive pas non plus à répondre, malgré les dizaines d’articles lus ou d’émissions entendues, sur les causes profondes d’un tel massacre, sur les conséquences de ce génocide. Comme je n’arrive pas à comprendre comment une folie meurtrière peut s’exprimer, soudain ou au terme d’un long processus de montée de la haine.

Je sais qu’il n’y a que rarement d’explications aussi tranchées que la lame d’une machette égorgeant hommes, femmes et enfants. Je sais que les mémoires sont divergentes. Je sais que le temps construit la réalité au-delà de la vérité de l’instant. Et que les réalités deviennent aussi plurielles que les individus. Et qu’il faut un long chemin de compréhension pour parvenir à s’entendre d’une sensibilité à une autre. Et devenir de nouveau forts, ensemble (lire ici le texte de mon confrère Agbadje).

hommes-debout-03

Je sais aussi que la compréhension aide à l’apaisement. Comme la conscience aide à simplement être. Je sais qu’il n’y a pas d’avenir paisible sans passé apaisé.

Et je sais la difficulté de mon pays avec son passé : de l’occupation et à la collaboration aux guerres coloniales, de l’empire colonial à la décolonisation. Décolonisation, des territoires comme des esprits, qui reste à accomplir.

hommes-debout-04

Ainsi donc, la France ne participera pas* aux cérémonies de commémoration aujourd’hui à Kigali. Mais elle se souviendra pourtant des centaines de milliers de personnes tuées en quelques semaines. A travers plusieurs événements, comme à Ivry-sur Seine où se dresseront les Hommes debout de Bruce Clarke.

Ses peintures géantes réalisées collectivement parcourent le monde de Lille à l’abbaye de Neumünster au Luxembourg, de Lausanne à Ouidah au Bénin, de Genève à Kigali, du Canada à ces pages. Elles veulent rendre hommage aux victimes du génocide, témoigner d’une mémoire, redonner de la dignité à la vie.

Mais lisez ici ce qu’en dit Bruce Clarke lui même dans une interview à RFI.

Ou écoutez-le parler de son projet dans cette vidéo.

[vimeo 87479295 500 281]

Avant d’aller voir les toiles en grand format sur le site des Hommes debout. Sans oublier la mémoire, qui ne doit pas flancher…

(photos : Les Hommes debout)

* J’apprends au moment de la mise en ligne de ce billet la participation a minima décidée finalement. Bon courage monsieur l’ambassadeur…

La mémoire aime bien les chansons : le titre du jour m’a été inspiré par Jeanne Moreau et les Hommes debout m’ont évoqué Jacques Brel.

Mais c’est au Franco-Rwandais Gaël Faye, que j’ai préféré consacrer cette rubrique musicale, en écho à sa carte blanche du 11 avril au Hangar d’Ivry-sur-Seine, toujours dans le cadre de l’accueil des Hommes debout.

[youtube XTF2pwr8lYk 600 338]

Étiquettes
Partagez

Commentaires

DEBELLAHI
Répondre

La mémoire doit rester vive, pour qu'il n y ait jamais plus ça! Mais pas une mémoire sélective et/ou revancharde. Juste pour établir la vérité, situer les responsabilités, rendre justice, et savoir pardonner. On ne peut oublier de tels drames, mais on doit savoir aussi que ça n'arrive pas qu'aux autres. Je suis inquiet du rôle de certains médias chez moi, auquel j'avais consacré un billet "les mille collines de Mauritanie".

JR (abcdetc)
Répondre

C'est le cœur du problème, pour les états comme pour les individus : comment pardonner à celui qui ne demande pas pardon ?
Et comment semer autre chose que la défiance et le rejet de la différence pour que cela n'arrive "jamais plus"… comme on dit toujours !
merci encore