Le poids des photos

Article : Le poids des photos
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4 septembre 2015

Le poids des photos

Hier, l’image du jour n’était pas à la Une d’abcdetc.

Ce n’est pas par choix éditorial, fausse pudeur, dilemme entre le montrable et l’innommable, interrogations sur la déontologie… j’en passe, comme j’ai entendu mes confrères de la presse sérieuse s’en justifier en écoutant (ou en lisant) les « informations” de midi.

Non, c’est tout simplement que je n’en ai pris connaissance qu’après mon réveil, alors que le billet du jour était déjà publié.

Mais l’image (les images) n’est pas là non plus aujourd’hui 4 septembre, même si je me suis senti obligé d’en parler. Comme naguère à d’autres moments…

Pas seulement parce qu’elle est choquante. Et si cette image de désolation révulse, elle n’est pas plus terrible que la détresse de milliers de personnes que j’ai vue ces derniers mois sur des dizaines de photos…

Mais parce qu’elle est presque trop “visible”. Et que le tapage médiatique autour de l’humanité échouée (qu’on l’écrive en français ou en turc…) est assourdissant.

Que les mots clefs n’ouvrent pas forcément les yeux, les cœurs, les consciences, les pays.

Et que si une image vaut 1000 mots, celle-ci m’a ôté tous les miens.

Mais tellement d’autres ont parlé, glosé, scandé, déclaré, commenté, invectivé, affirmé leur prise de conscience, jusqu’à l’écœurement, la nausée, l’indigestion devant toutes ces réactions, d’indignation, d’horreur, d’humanité, de bouleversement. D’une émotion qui, une fois de plus, remplace et empêche la réflexion, et de réaction qui remplace l’action, et son urgente nécessité… comme l’a écrit en quelques caractères un certain Premier ministre.

Une émotion qui, ce matin au moment où j’arrive enfin à retrouver quelques mots, cède déjà la place à la polémique.

Alors, ce matin encore, je n’ai pas publié la photo (les photos) du petit Aylan (Kurdi ou Shenu).

Parce qu’une photo, quel que soit son poids, n’a jamais changé le monde.

Parce que, comme le disait hier Laetitia Guillemin, présidente de l’Association nationale des iconographes et iconographe au Monde diplomatique :

“Je ne suis pas pour ce genre de photos. Il y a d’autres moyens que la manière frontale. Utiliser un enfant pour dénoncer la non-politique européenne sur la question n’est pas la solution.”

Parce que, grâce à mes confrères du Huffington Post Maghreb, j’ai trouvé d’autres images.

De vivants.

Des réfugiés syriens en Jordanie, en 2013. Trop vivants pour émouvoir et faire cesser la guerre dans leur pays ?

Des réfugiés qui parlent.

Parmi les messages qu’ils ont voulu transmettre (et que vous pouvez retrouver ici), on peut lire : “Sauvez les enfants syriens.” “Où est ma vie ?” “Mon enfance m’échappe.”

Comme autant d’appels à l’aide et à l’action.

Mais aussi : “Je veux retrouver ma vie d’avant.” “Je veux retourner en Syrie, mais c’est dur.”

Qui nous rappellent que les réfugiés, les migrants, les exilés, les naufragés, quel que soit le nom qu’on leur donne (et cette autre polémique du langage…) demandent autant à être accueillis qu’à pouvoir espérer repartir un jour chez eux.

Que si des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants arrivent par milliers en Europe (et meurent par centaines sur nos rivages), ce n’est pas seulement pour “profiter” de nos richesses, emmener les enfants à Disneyland ou faire leurs courses sur Internet. C’est aussi, d’abord, que leur quotidien n’est pas possible là où ils sont. Dans des pays en guerre, secoués de violence, détruits par les conflits…

Et que la reconstruction, après des années de destruction en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye, en Somalie, en Érythrée, au Soudan, au Yémen… demandera autre chose que de l’émotion. Et ne se fera pas dans l’urgence.

Je sais. J’ai dit ce que j’ai pu…

(photos : Robert Fogarty)

La Family Atlantica propose plein d’autres vidéos sur son site. Mais celle-ci m’a paru d’actualité.

Just a Day on the Beach.

Et ne voyez aucun cynisme dans ce qui n’est qu’une amertume.

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