16 novembre 2015

Les jours heureux

Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. Benjamin Franklin

D’abord la sidération.

Puis le silence.

Que j’aurais pu garder encore. Longtemps. Noyé des mots des autres. Des journalistes insatiables aux politiques indignes. Bercé par une radio qui égrène le nombre de victimes dans un macabre compte à débours, qui glose, explique, radote, invite dans un grand ramdam les quidams et les spécialistes en tous genres à mélanger leurs propres mots, tend l’oreille aux rumeurs, aux petites phrases. Mésinforme en boucle jusqu’à la nausée…

Un samedi noir sur la terre. Un week-end de deuil qu’il n’était pas utile de décréter. Comme il était peut être déplacé de décréter l’état d’urgence, symbole d’un temps peu glorieux de notre histoire nationale et signe d’une surveillance de la liberté chérie censée combattre avec ses défenseurs.

Comme si les terroristes avaient gagné leur pari de détruire la démocratie. Et flotte alors le souvenir amer de tous ces discours de début d’année sur la nécessité de la reconstruire…

J’aurais pu me taire d’urgence.

Après tout, qui se soucie de ce que je pense. La radio ne m’a pas invité à m’exprimer.

Alors, j’ai pensé à quelques uns d’entre vous, cette poignée de regards fidèles, qui parfois m’encouragent à donner de ma petite voix de traverse.

J’ai repensé à ce “spécialiste” de la lutte contre la terreur (dont j’ai oublié le nom) qui appelait à faire des choix, en donnant plus de moyens à l’ordre et à la sécurité, au détriment peut être d’autres politiques moins urgentes dans ces temps de guerre… Et à d’autres propos de la même eau qui m’ont fait bondir.

J’ai tourné, retourné, écrit, biffé, tenté de dire.

Le résultat est brouillon. C’est ainsi. Je ne suis pas des grands penseurs du temps. Mais je pense de toutes mes forces que j’ai presque plus peur de la société que nous annoncent ceux qui prétendent la défendre à tout prix, que de ceux qui tentent de la détruire. Même au prix de leur vie.

Je le répète en préambule : je ne défends aucunement les opinions nauséabondes des terroristes et de ceux qui les inspirent, téléguident et financent. Je n’ai aucune sympathie pour l’idéologie totalitaire défendue par de prétendus croyants qui insultent le dieu qu’ils prétendent servir…

Mais il y a chez eux un “idéal”.

Et à cet idéal criminel, nous n’aurions plus que le “choix” de dépenser plus pour la sécurité, l’ordre et son maintien, la police et l’armée. Et la justice peut être, pour enfermer les coupables d’opinion, dans des prisons qui débordent déjà… Et rétablir la peine de mort ?

Et choisir de dépenser moins pour l’éducation ou la culture, qui forment et construisent des citoyens ?

Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, en voyant François Hollande et ses ministres sécuritaires poser devant le Bataclan, j’ai encore regretté qu’il soit si mal conseillé. Que personne ne lui ait glissé l’idée de rester à la maison en laissant travailler ceux qui s’occupaient des morts et des blessés. En ne surchargeant pas de travail ceux qui assuraient la sécurité du quartier… Ou alors, quitte à céder à l’automatisme d’une présence inutile, sauf à témoigner d’un intérêt présidentiel qu’il paraît terrible de devoir ainsi réaffirmer, de se faire accompagner des ministres concernés, Éducation, Culture, Santé, Jeunesse et Sports… Et de les inviter au Conseil de sécurité.

Mais ce n’est pas la conception du moment dans une société en guerre. Pour la défense de la démocratie !

Mais quel idéal offre aujourd’hui cette société ? Que proposons nous comme alternative au fanatisme ? La consommation, la compétition, l’argent, l’individualisme protecteur de l’avoir. Et pour ceux qui sont exclus de l’élite possédante ? Le choix de survivre. Ce qui est mieux que celui de mourir, je vous l’accorde, mais bien peu enthousiasmant, reconnaissez-le.

J’espère encore que nous fassions le choix du vivre ensemble, de la fraternité, que nous menions de nouveau la révolution vers l’égalité. Réelle. Des chances, de l’épanouissement, de l’emploi, du travail, d’une vie profitable, mais au delà des profits financiers. Que nous réinventions une société de partage : de l’espace, du bonheur, des richesses, des ressources du monde, de la pensée de l’autre, des beautés du monde, de l’imaginaire.

Ce n’est pas seulement de plus de sécurité dont nous avons besoin, pour préserver nos “valeurs” en réduisant nos libertés. Mais de réinventer l’égalité, de retrouver les clefs de la fraternité.

J’aimerais tant que nous puissions ne pas seulement partager les deuils, dans une unité nationale provisoire et éphémère, mais aussi les joies (et pas seulement quand la France gagne une coupe du monde, même si je déplore au passage que les attentats de vendredi nous aient privé de la saveur de la victoire contre l’Allemagne).

À propos de victoire contre l’Allemagne… Je ne défends pas plus l’islamisme et tous ses avatars que le nazisme, le fascisme et tous leurs avatars de l’époque et d’aujourd’hui encore. Mais je crois savoir que la “barbarie” nazie ne fut pas vaincue seulement pas la puissance yankee (on oublie tellement facilement les Russes…) mais aussi, surtout, par la volonté des résistants qui se sont battus alors pour la liberté. Et aussi pour le bonheur.

Les jours heureux : c’est le titre du Programme national de la résistance, mis en œuvre à la fin de la guerre. Et soigneusement détricoté depuis, notamment par Sarkozy, et dont Hollande, Valls, Macron et d’autres éparpillent les derniers lambeaux.

Comme autrefois contre les idées odieuses des nazis et des fascistes, il nous faut lutter aussi avec les armes d’une foi convaincue en des jours meilleurs, des lendemains qui chantent et pourquoi pas des grands soirs, pas endeuillés, sauf par la mort des tyrans de l’argent et du pouvoir.

Il ne suffit pas de déclarer la guerre à ceux qui veulent la guerre. Il nous faut imaginer une société de la paix.

Il est vain de lutter contre “l’idéologie” islamiste si nous ne retrouvons pas d’idéal.

Comme il est vain de n’avoir comme programme, pour les élections qui viennent et dont la campagne s’est brutalement interrompue, comme pour les suivantes, d’empêcher le FN d’accéder au pouvoir. Ce parti extrémiste a pour sa part un programme. Détestable, exécrable, mais qui convainc de plus en plus de gens. C’est en trouvant autre chose que la bataille (feinte?) contre ce parti, qu’il peut être envisagé de le combattre. Et de combattre ses idées. En luttant réellement contre les inégalités, c’est à dire contre ceux qui accaparent les richesses, en se battant contre le chômage, à travers le droit réaffirmé de travailler dignement et pas en développant l’asservissement des travailleurs, en se battant contre la pauvreté, dans l’un des pays (le 5e, le 6e, je m’en moque…) les plus riches du monde comme ailleurs dans les pays où l’on rêve d’eldorado, en assurant de vrais droits au logement, et pas seulement dans des cités ghettos de plus en plus éloignées de la vie, à la santé, à l’éducation, à la culture, au bonheur.

En ayant enfin le courage d’un programme. Commun, comme celui que sabota en son temps Mitterrand. Ou des jours heureux…

Auxquels j’ai envie de croire encore. Malgré tout !

*

Je n’ai pas oublié la ligne de ce blougui. Aussi ce (long) article est-il illustré des lumières que le monde a allumées pour notre pays. Et comme j’aimerais encore croire à la France des lumières.

(Et comme me fait vomir la colorisation en bleu-blanc-rouge de f$$$k, tellement peu solidaire quand il s’agit de payer les impôts pour financer la société dont il tire profit…)

(Photos : Aly Song, Marcos Brindicci, Alexander Schippers, Asit Kumar, Vladimir Simicek, Leo Correa, Denis Balibouse, David Mdzinarishvili, Mussa Qawasma, Kacper Pempel, Arben Celi, Stevo Vasilijevic, Ammar Awad, Marko Djurica, Chris Helgren, Melo Moreira, Licata Caruso, Jason Reed, Gérard Julien, Hannibal Hanschke, Stephen Lam, Tomas Bravo, Suzanne Plunkett, DR)

J’ajoute un moment de silence en pensée pour toutes les victimes tellement inutiles. Sans ruban noir, comme d’autres hypocrites qui ont recyclé celui de janvier. Mais avec la Colombe de même couleur de Picasso… Pour croire encore à la vie !

 

Et parce que la musique est encore tellement indispensable…

Une mini mosaïque avec David Martello, le 14 novembre 2015 devant le Bataclan, et John Lennon, en 1971, chez lui.

[youtube MNRCTC1ElXQ 300 225] [youtube yRhq-yO1KN8 300 225]

Partagez

Commentaires